L’Internet est souvent présenté comme un espace de liberté où les idées circulent librement et où chaque individu peut s’exprimer sans entrave. Si cela a pu être vrai dans les premières décennies du web, cet idéal rencontre des limites lorsqu’il se confronte aux questions de sécurité nationale, d’ordre public et de protection des droits individuels ou quelquefois même, hélas, des motivations bassement politiques. Dans un contexte global où de nombreux États renforcent leur contrôle sur le cyberespace, la France n’est pas en reste. L’hexagone a, en effet, mis en place divers mécanismes légaux visant à réguler les contenus en ligne qui suscitent de nombreux débats sur la balance entre liberté d’expression et impératifs de sécurité.
La France se classe 2e pour les demandes de suppression sur Facebook
Cela pourra peut-être vous étonner mais selon une étude réalisée par le site américain Comparitech, la France se classe au deuxième rang mondial pour le nombre de demandes officielles de suppression de contenus sur Facebook. Entre juillet 2013 et décembre 2018, le gouvernement français a formulé 42 989 demandes de suppression de posts et commentaires, se positionnant ainsi juste derrière l’Inde, mais devant le Mexique. Au total, les autorités françaises ont effectué 49 971 demandes de retrait de contenus sur différentes plateformes, y compris Google et Microsoft, ce qui fait de la France le quatrième pays le plus actif dans le domaine de la censure sur les reseaux.
Selon Paul Bischoff, l’auteur de l’article original, ces chiffres nécessitent toutefois une interprétation nuancée. la majorité des demandes françaises sur Facebook étaient en effet liées à la publication d’images des victimes des attentats de 2015. En fait, le nombre de demandes de suppression a atteint un pic de 37 700 entre juillet et décembre 2015, alors qu’il n’était que de 224 pour le dernier semestre de 2018.
Ces requêtes ont été généralement formulées par l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC) et concernent des contenus qui ont échappé à la détection des algorithmes ou des modérateurs de Facebook.
Interrogé sur cette question, Facebook a affirmé qu’il répond à toutes les demandes gouvernementales conformément aux lois en vigueur et à ses propres conditions de service. Les plateformes ne se sont pas précipitées pour commenter ces chiffres, mais se réfèrent à leur rapport annuel sur la transparence de leurs activités.
Le Conseil Constitutionnel invalide la loi Avia sur la haine en ligne
Pour mémoire, le 18 juin 2020, le Conseil constitutionnel français avait rejeté les dispositions clés de la loi Avia, qui visait à lutter contre « la haine en ligne ». La loi, adoptée en mai, avait été critiquée pour être une « atteinte à la liberté d’expression ». Le rejet a été accueilli comme un revers significatif pour le projet de loi.
Plus de soixante sénateurs du parti Les Républicains avaient saisi le Conseil, arguant que la loi était inconstitutionnelle. En effet, l’une des mesures phares de la loi obligeait les plateformes en ligne à retirer les contenus haineux ou sexuels en 24 heures. Le Conseil a estimé que ce délai était « particulièrement bref » et pouvait inciter au retrait de contenus qui ne sont pas manifestement illicites. Difficile en effet de rendre condamnable et de mettre en législation ce qui a priori semble relever d’un ressenti et d’une émotion. La notion reste trop floue.
Autre camouflet pour l’exécutif, le Conseil a également rejeté une disposition qui exigeait le retrait de contenus terroristes ou pédopornographiques en une heure sur notification des autorités publiques. Les Sages ont jugé que ces mesures portaient une « atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée » à la liberté d’expression.
Malgré les rebuffades essuyées, la députée Laetitia Avia, à l’origine de la loi, a insisté sur la nécessité de continuer le combat contre la haine en ligne, citant une augmentation de 56 % des « contenus haineux », selon le rapport France Digitale de mai 2020. Elle a affirmé que cette décision pourrait servir de « feuille de route » pour améliorer un dispositif déjà existant et qu’il faudra poursuivre le combat, notamment par la création d’un « Observatoire de la haine en ligne » et d’un parquet judiciaire spécialisé.